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DECENTRALISATION : les vrais objectifs de la réforme

Le gouvernement vante des mesures qui vont simplifier, clarifier et assouplir l'organisation des collectivités et, au final, rendre le service public plus efficace. Des élus, nombreux et de tous bords, pointent, au contraire, un risque de complexification et de mise sous tutelle de l'action locale. Au-delà de ce débat, une chose est claire : le gouvernement applique aux collectivités la "Modernisation de l'action publique" qu'il a engagée dans le but de dégager des économies budgétaires. Les agents territoriaux doivent redouter de profondes transformations de l'emploi territorial et de nombreuses incertitudes sur leur avenir.

Ce devait être "un nouvel acte de décentralisation", le troisième après les lois Defferre de 1982-1983 et Raffarin de 2003-2004. François Hollande l'avait promis lors de la campagne pour l'élection présidentielle. Sa réforme donnerait un nouveau souffle et elle serait votée au début de son quinquennat.

Rapidement à pied d'oeuvre, le gouvernement Ayrault dévoile sa copie, fin 2012. Mais, les élus locaux, maires et présidents de régions en tête, sont mécontents. Le chantier est, donc, reporté pour poursuivre la concertation.

Une autre réforme est au rendez-vous. Défendue par le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, elle met fin au conseiller territorial qui devait siéger à la fois au conseil général et au conseil régional, pour rapprocher ces deux collectivités. A la place, elle institue le conseiller départemental, qui sera élu à partir de 2015 selon des modalités inédites. Il n’y aura pas un, mais deux conseillers par canton. Ce sera obligatoirement un homme et une femme. Les conseils départementaux – nouveau nom des conseils généraux – seront donc totalement paritaires. Au nombre de 4.000 aujourd’hui, les cantons seront, eux, deux fois moins nombreux.

"Plus d'efficacité, moins de dépenses"

C’est au moment où ce projet de loi est définitivement voté, soit en avril 2013, que le gouvernement présente, enfin, sa réforme concernant les collectivités. En réservant deux surprises. Sur la table, il n’y a pas un texte, mais trois. Surtout, il ne s'agit plus d'engager "l'acte III de la décentralisation", comme l’affirme Marylise Lebranchu, ministre en charge du dossier. Cette réforme, c’est "l'acte I de notre projet", confie-t-elle.

Au côté de la décentralisation, a pris place, désormais, un second objectif, qui figure dans l’intitulé de la réforme. C'est "la modernisation de l'action publique ". On le sait, le terme et son acronyme ("MAP") désignent la politique engagée par le gouvernement dans le but d'améliorer le service public au sens large – y compris l’action des collectivités - tout en baissant la dépense publique. Dès le début de 2013, Marylise Lebranchu explique que la réforme de la décentralisation constitue la "première étape de la MAP des territoires". Au moment de la présentation de la réforme, Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée, précise qu'il s’agit de "rendre toute son efficacité à l'action publique", de "clarifier" l'exercice des compétences entre les collectivités et de "maîtriser les dépenses".

Le premier projet de loi, dont l’examen débute le 30 mai 2013 au Sénat, ne vise pas à éliminer des couches du millefeuille territorial, ou à réduire le nombre des élus locaux, contrairement à la loi de réforme des collectivités de décembre 2010. Il reconnaît la diversité des territoires qui composent la République et le fait qu’on gère différemment un département rural, comme l’Ariège, et un département urbain, comme les Hauts-de-Seine. Conséquence de ce raisonnement clairement girondin: les départements et les régions vont à nouveau pouvoir agir dans tous les domaines, alors que la précédente majorité avait décidé de spécialiser leurs compétences. Surtout, les élus locaux, qu’ils soient maire, président d’une intercommunalité, président de conseil général ou régional, vont pouvoir librement décider de l’organisation des compétences de leurs collectivités. Ils en discuteront au sein d’une conférence territoriale de l’action publique qui aura à sa tête le président du conseil régional.

Le gouvernement souligne qu’il fait ainsi « confiance » aux élus locaux. Mais la liberté dont ils bénéficieront sera, en réalité, très encadrée. Des chefs de file seront désignés pour chaque compétence. Par exemple, la région pilotera le développement économique et organisera les transports, tandis que le département sera responsable de l’action sociale, du numérique et de la solidarité des territoires. Il leur reviendra de définir des schémas lorsque la compétence concernée est exercée par plusieurs niveaux de collectivités. Le gouvernement veut, surtout, obliger les collectivités à se mettre d’accord sur un "pacte de gouvernance territoriale" qui définira précisément qui fera quoi et comment. Les collectivités qui n’inscriront pas leur action dans ce cadre seront pénalisées financièrement.

Les élus redoutent d'avoir les mains liées

A n'en pas douter, les conférences demeureront dans le texte qui sortira des débats parlementaires, en principe avant l’automne. Mais leurs modalités de fonctionnement seront sans doute plus souples que dans le texte du gouvernement. Quant aux pactes, qu’elles sont censées élaborer, leur sort est beaucoup plus incertain.

Une foule d'élus locaux est vent debout contre cette "nouvelle forme de tutelle", que le Sénat, lui aussi, n'est pas prêt à accepter. Du côté syndical, l'invention gouvernementale essuie aussi une pluie de critiques. FO pointe les risques de voir les inégalités de traitement des usagers croître d'une région à une autre.

L’autre grand volet du projet de loi prévoit la création par décret de treize métropoles sur le territoire des agglomérations de Lyon, Marseille, Toulouse, Lille, Bordeaux, Nice, Nantes, Strasbourg, Grenoble, Rennes, Rouen, Toulon et Montpellier. Les compétences de ces établissements publics à fiscalité propre seront significativement renforcées, puisque les départements et les régions leurs délégueront certaines de leurs prérogatives. Pour les plus grandes agglomérations – Paris, Lyon et Marseille - le texte prévoit des dispositions spécifiques en matière de gouvernance. Dans l’aire urbaine de Marseille, la métropole prendra la place de six intercommunalités et absorbera en partie les compétences communales. Dans la région lyonnaise, la communauté urbaine fusionnera sur son territoire avec le conseil général, pour donner naissance à une nouvelle collectivité territoriale. Des élus locaux et des syndicats, dont Force ouvrière, s'interrogent sur les conséquences de la création de ces mastodontes. Les communes et, avec elles, le service public de proximité ne sont-ils pas menacés ? Ne va-t-on pas aggraver la désertification du territoire ?

Le second projet de loi, qui sera discuté au Parlement en principe à partir de l’automne prochain, accorde aux régions un rôle de capitaine du développement économique et des aides aux entreprises. En outre, les régions géreront à la place de l’Etat une partie des fonds européens. Enfin, leurs compétences seront renforcées en matière de formation professionnelle, d’apprentissage et d’orientation. L’autre volet du texte concerne "la promotion de l’égalité des territoires". En ce domaine, le département est appelé à agir, surtout à l’égard des petites communes, auxquelles il apportera une assistance d'ordre technique. Il aura aussi la charge d’élaborer un "schéma départemental d'amélioration de l'accessibilité des services au public".

Les solidarités territoriales seront traitées en dernier

Le troisième projet de loi, que le Parlement pourrait n’examiner qu’après les élections municipales de mars 2014, voire seulement après les sénatoriales de septembre 2014, est un texte fourre-tout. Le premier volet, qui vise à "garantir le développement solidaire des territoires", renforce les compétences des régions et des départements dans les domaines respectifs des transports et du handicap, clarifie les compétences des communes et des intercommunalités en matière d'énergie et renforce leur champ d'action dans le domaine de la gestion des cours d'eaux. D'autres dispositions améliorent la transparence financière et la qualité des comptes des collectivités.

Elles sont suivies par des mesures favorisant la participation des citoyens à la vie locale - notamment en étendant le droit de pétition. A retenir encore : le texte renforce substantiellement les prérogatives des intercommunalités. Celles-ci seront en particulier responsables des plans locaux d'urbanisme. Enfin, un Haut conseil des territoires est créé. Il sera le lieu de concertation entre le gouvernement et les élus locaux sur les politiques communes de l'Etat et des collectivités.

A la différence de la loi Raffarin d'août 2004, la réforme n’entraînera pas de transferts massifs de personnels de l’Etat vers les collectivités (près de 130.000 agents de l'Etat ont été transférés entre 2006 et 2011). Tout juste 500 agents de l’Etat seront concernés, indique le gouvernement. Mais, comme les précédentes, cette réforme aura des conséquences sur l’emploi public et la carrière des agents, par les réorganisations de services qu’elle va nécessairement occasionner.

Si les pactes de gouvernance territoriale voient le jour, peu d’évolutions sont à attendre dans les premières années, prédit Marylise Lebranchu. Mais à terme, les modifications pourront être substantielles, la ministre évoquant la possibilité pour une région de décider le transfert aux départements de la gestion des personnels techniques des lycées. Si le gouvernement échoue à faire adopter ses pactes, des évolutions sont, de toute manière, à attendre du côté des délégations de compétences, qui sont facilitées et encouragées. En outre, les incitations en faveur de la mutualisation, la création des métropoles et le renforcement des compétences des intercommunalités, vont provoquer de nouveaux transferts d’agents des communes vers ces échelons.

Du souci pour les agents

A la clé, donc, il y aura de nombreuses réorganisations de services. Sous cet angle, les projets de loi de décentralisation et de modernisation de l'action publique font figure d'"acte II" de la réforme des collectivités territoriales. Avec, en prime, les mêmes défauts, assurent certaines organisations syndicales, dont FO. Intégrant la dimension des ressources humaines, les nouvelles mesures comportent, il est vrai, certaines garanties pour la carrière des agents. Cette préoccupation est aujourd'hui un peu plus grande que lors de l'élaboration de la réforme de 2010. Mais, elle demeure très insuffisamment prise en compte, assure FO.

Aussi, les agents que la réforme va toucher ont de bonnes raisons de se faire du souci. D'abord, parce qu'en dépit des garanties statutaires, ils ne sont pas certains d'exercer les mêmes responsabilités après, qu'avant. Ensuite, parce qu'ils ne savent pas comment des éléments de leur rémunération, comme le régime indemnitaire et l'action sociale, ainsi que la participation de leur employeur à la mutuelle et à la prévoyance, vont évoluer. Dans tous ces domaines, les mauvaises surprises sont possibles, l'expérience l'ayant déjà montré.

Une réorganisation, ou un changement de structure peut aussi contraindre les agents à travailler dans un nouveau lieu beaucoup plus éloigné de leur domicile. Cela peut compliquer la vie de toute la famille. De plus, les économies fondent avec les dépenses supplémentaires en carburant.

Avant que ne surviennent de tels bouleversements, les agents peuvent demeurer longtemps sans réponses à leurs interrogations. Parce que les employeurs ne prennent pas suffisamment la peine de les informer sur leur devenir.

L'instabilité qui découle des réformes des structures est susceptible de nuire à la qualité du service public, concluent les organisations syndicales. Un résultat inverse à celui qui est attendu par les pouvoirs publics !

Pour Force ouvrière, Thomas Beurey / Projets publics

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